« Le chaos est l’ordre que nous ne comprenons pas » – Paul Virilio
Avec Ode Caduc, Romain Coppin signe une exposition où la matière chancelle, vacille, mais persiste. Dans un acte brut et méditatif, il présente un ensemble d'œuvres qui semblent toutes naître d’un même geste: construire avec ce qui reste, faire émerger du sens dans un monde dépourvu de structure.
Travaillant à partir de matériaux récupérés dans son environnement immédiat, l’artiste compose dans l’urgence et dans l’instant. Il peint, assemble, transforme, récupère, sans volonté de maîtriser entièrement ce qu’il crée, en laissant sa place à l’aléatoire, à l’imprévu. Issue d’un enchevêtrement de couleurs, de lumières, de formes et de restes, chaque œuvre semble alors surgir d’un désordre fertile, incarner une tentative fragile de maintenir l’équilibre là où tout menace de s’effondrer. Ici, le chaos devient un principe de création.
En écho à la pensée de Paul Virilio, pour qui la catastrophe est le revers inévitable de toute construction humaine, Romain Coppin crée des structures en sursis, des formes aux contours flous, des volumes ambigus. Le visible devient ruine en devenir, la structure, une promesse d’effondrement.
Créer une œuvre, c’est inventer sa propre disparition.
Chez Romain Coppin, chaque œuvre incarne cette vérité: rien n’est stable, rien n’est figé. L’objet n’a plus de rôle défini, il est devenu forme ouverte, volume vacillant, potentialité ruinée. Ce que l’artiste met en jeu, c’est justement cette tension permanente entre la structure et sa ruine, entre le geste de bâtir et la conscience de l'effondrement.
Ode Caduc se présente ainsi comme un hommage paradoxal. Ce qui traverse l’exposition, ce n’est pas seulement l’idée d’un monde effondré, incarné par des images floues et des compositions instables. C’est aussi la conscience aiguë de vivre pendant la catastrophe, dans un présent sans garantie, suspendu entre disparition et apparition. Ode Caduc raconte notre rapport fugace aux objets, aux figures, aux structures, à un monde où tout va vite, où tout vacille, et où l’accident n’est plus l’exception mais la règle. Le monde de Romain Coppin est un monde d’après l’accident. Un univers où les images et les formes portent les stigmates d’un événement qui a déjà eu lieu, sans qu’on en connaisse l’origine.
Romain Coppin ne cherche pas à bâtir un nouveau récit. Il creuse dans les restes, observe, collecte, assemble les traces d’un monde en perpétuelle reconfiguration, pour raconter son rapport paisible et profond à l’impermanence. Il n’y a ni cynisme, ni résignation, mais une lucidité poétique, un regard clair porté sur le désordre fondamental du réel. Son travail nous invite à regarder ce qui ne tient plus, à écouter ce qui s’effondre, et à contempler ce qui persiste malgré tout. Refusant l’illusion de la stabilité, Ode Caduc nous autorise à penser l’art comme geste lucide dans un monde désaxé. Un monde où l’on crée malgré tout, avec rien, contre rien.
Marian Arbre, 2025
Formé au design, Romain Coppin explore aujourd’hui la sculpture et la peinture dans une dynamique de vases communicants, où chaque discipline nourrit et influence l’autre. Ses sculptures naissent de l’assemblage improbable de meubles disloqués, comme autant de cadavres exquis figés dans une posture d’inconfort ou de survie. Sa pratique picturale, quant à elle, puise dans l’héritage du surréalisme et dans l’influence de figures telles que Francis Bacon. Entre abstraction et figuration, ses peintures laissent entrevoir des formes organiques, pouvant évoquer des écorchés, reconnaissables mais aux contours floutés, comme pris dans un mouvement perpétuel. Il y aborde des thématiques tourmentées comme la finitude et la vanité. Les couleurs dominantes — entre tons chair, rouge sang et nuances sombres — confèrent à ses toiles une dimension viscérale et troublante, effleurant l’horreur.
Marie Bassano, 2025